Vendée Globe. Entretien avec l’architecte Guillaume Verdier
L’architecte Guillaume Verdier a conçu ou cosigné quatre des cinq premiers bateaux de la Transat Jacques Vabre ! Dont le vainqueur, Apivia de Charlie Dalin. Exception notable : Charal de Jérémie Beyou (3e), œuvre du cabinet VPLP avec qui Verdier ne collabore plus. Alors qu’il est aujourd’hui enrôlé par Emirates Team New Zealand, defender de l’America’s Cup, nous l’avons joint à l’autre bout du monde pour tirer les enseignements de la course et dégager des perspectives pour le Vendée Globe…
Voiles et Voiliers : Sur les cinq premiers bateaux au classement de la Transat Jacques Vabre, vous en avez signé ou co-signé quatre ! Satisfait ?
Guillaume Verdier : Deux ont été conçus en collaboration avec Vincent Lauriot-Prévost, lorsque nous étions associés (le PRB de Kévin Escoffier et le 11th Hour Racing de Charlie Enright et Pascal Bidégorry, ndlr). Le vainqueur – Apivia, de Charlie Dalin qui naviguait pour l’occasion avec Yann Eliès –, nous l’avons fait entièrement. Depuis 2011, je travaille avec une assez grosse équipe. Donc on est content quand on gagne, surtout cette course avant le Vendée Globe ! La Transat Jacques Vabre, c’est un peu la course pour roder les bateaux, pour casser ce qui doit être cassé. Là, nous n’avons presque rien cassé sur cette transat, en tout cas rien de grave. Cette course permet aussi aux bateaux de montrer leur potentiel et leurs faiblesses. Car même si on a gagné, on a des faiblesses. Au moins on les connaît maintenant et on sait qu’elles ne sont pas insurmontables.
Voiles et Voiliers : Les concurrents semblent néanmoins s’accorder sur les incroyables performances de Charal avant qu’il ne soit stoppé dans le pot au noir.
Guillaume Verdier : Toute l’astuce de ces bateaux de solitaire, c’est d’en faire des bateaux qui volent avec les foils… mais sans se casser la gueule derrière. Moi je ne voulais pas faire un bateau qui vole trop haut et qui soit trop aérien. Il doit pouvoir se débrouiller seul en solitaire. Et c’est très différent du double.
L’Imoca n’autorise pas les safrans en « T » derrière. C’est un peu comme si on volait avec un avion sans l’empennage. Du coup, j’avais très peur de mettre un bateau à l’eau qui fasse comme Charal il y a six ou sept mois. Il faisait des bonds sans cesse dans l’eau. Il allait très vite et retombait aussi sec. Je me suis donc dit qu’il était préférable de faire un foil moins extrême. Un grand foil mais qui s’autorégule sans aller trop haut, qui soit très stable en vertical. Du coup, j’ai pas mal pénalisé les bateaux qu’on faisait en en faisant des bateaux un peu moins rapides. Mais je le savais.
Finalement, Charal a trouvé un mode de fonctionnement qui marche bien. Ils ont eu plus de temps de développement. Ça nous laisse à nous le temps de nous réajuster sur ce qui n’allait pas sur la Jacques Vabre.
Charal est très rapide au vent de travers mais on a vu qu’il est resté coincé dans le pot au noir. Cet arrêt est aussi dû à ses foils. Il a quand même deux chasse-neige dans l’eau… Ce qui le rend rapide le rend lent aussi. Quand il n’y a pas de vent, il est très, très lent. Après, il n’a pas eu beaucoup de chance non plus.
Voiles et Voiliers : L’enjeu du prochain Vendée Globe, c’est donc la polyvalence ?
Guillaume Verdier : Il faut faire des bateaux très polyvalents surtout en solitaire, qui ne soient pas trop durs pour les manœuvres. C’est grâce à ça qu’on a gagné le Vendée Globe dans le passé. Je voulais m’éloigner du concept de dragster. Et je dois dire que Charal est un peu un dragster. Après, il ne faut pas abuser des trous de performance. On est un peu moins rapide sur certaines allures, donc il faut qu’on corrige. Souvent, on gagne des courses grâce à l’homogénéité du bateau.
Voiles et Voiliers : En acceptant de perdre de la puissance ?
Guillaume Verdier : C’est comme en examen. Il ne faut pas faire d’impasse. Mieux vaut être bon un peu partout pour être sûr de s’en sortir (rires).
Voiles et Voiliers : Apivia et aDvens ont la même philosophie ?
Guillaume Verdier : Ils sont un peu différents. En fait, lorsqu’on dessine un bateau, on commence par une grosse étude scientifique et on donne aux skippers les critères de performance. Justement, la stabilité du foil, du bateau, la facilité de régulation… Après ils choisissent naturellement leur cockpit, leurs options un peu, et on essaie de les conforter ou au contraire de les mettre en garde sur les risques en leur donnant les paramètres de performance liés aux choix qu’ils font. Donc forcément ils n’ont pas fait les mêmes choix mais ce sont des bateaux qui sortent de la même caisse à outils. C’est une boîte à outils qui a été dessinée pour un bateau qui n’a pas existé finalement, qui était le Volvo 60.
Voiles et Voiliers : Et d’après ce que vous avez pu observer pendant cette transat, lequel est dans le vrai ?
Guillaume Verdier : Ils ont des performances assez similaires. Ils n’ont pas tout à fait les mêmes positions d’appendices, donc pas les mêmes placements de masse. J’ai l’impression que Thomas (Ruyant) avait un bateau plus à l’aise au reaching et peut-être plus aérien que celui de Charlie (Dalin). Il a quand fait une super remontée malgré son arrêt à Cherbourg pour un problème de vérin de pilote. Ils ont fait une belle course.
Voiles et Voiliers : aDvens for Cybersecurity, le bateau de Ruyant, était également le dernier bateau de la flotte mis à l’eau…
Guillaume Verdier : Généralement, huit semaines après avoir été mis à l’eau, les bateaux ont peu de chance de finir la course. Donc c’est chouette qu’ils soient arrivés au bout ! Les bateaux vont beaucoup évoluer jusqu’au Vendée Globe.
Voiles et Voiliers : Sur quoi allez-vous travailler justement pour passer le bateau en mode solo ?
Guillaume Verdier : Actuellement, les deux bateaux marchent plutôt bien pour le solo. S’ils voulaient partir dans deux mois, ils pourraient. Il y a beaucoup de travail à faire pour rendre la vie plus facile, pour le pilote automatique et pour pouvoir tirer plus sur le bateau, par exemple. Si on veut rendre le bateau plus extrême, il faut travailler sur le développement. Ce que Charal avait sûrement eu le temps de faire. Il faut donc installer pas mal de systèmes, gérer le retour d’information, l’électronique. C’est un peu moins ma partie.
Voiles et Voiliers : La plupart des bateaux vont avoir une deuxième version de foils ?
Guillaume Verdier : Oui, on en construit d’autres qui sont dessinés depuis un moment.
Voiles et Voiliers : Toujours dans un souci de polyvalence ?
Guillaume Verdier : Il faut qu’ils soient faciles à manœuvrer. On a vu pendant le dernier Vendée Globe que ceux qui avaient des foils ne s’en sont pas vraiment servis. Le Vendée Globe, c’est une course spéciale. Ils sont en course pendant un tiers du temps et le reste ils ramènent leur bateau. Si on veut vraiment qu’ils soient performants, il faut qu’ils soient très simples, très robustes.
Voiles et Voiliers : Des concurrents ont dit qu’ils ne pourraient jamais tirer sur le bateau comme ils l’ont fait sur la Transat…
Guillaume Verdier : Oui, sûrement. D’ailleurs c’est souvent ce qu’il se passe. Quand on regarde le Vendée Globe, les gars vont à fond les deux premières semaines, ils sont assez grillés jusqu’à ce qu’ils arrivent dans le Sud. Après, les écarts deviennent énormes entre les bateaux. Il faut réussir à tenir la cadence et être homogène.
Voiles et Voiliers : Toujours d’après les skippers, les bateaux accélèrent et décélèrent assez violemment…
Guillaume Verdier : C’est un peu lié au dessin des foils. Il faudrait réussir à les rendre plus doux. Mais je pense qu’on va y arriver. C’est là-dessus qu’on travaille beaucoup. Comme je le disais, l’enjeu, c’est de faire un appendice qui s’auto-débrouille pour pas ne monter trop haut et garder la vitesse… Pour ça, on étudie beaucoup les problèmes de cavitation, ventilation, l’auto-stabilité des foils, faire des foils qui se tordent, plein d’aspects comme ça. Toutes les équipes travaillent dessus. Après on n’a pas tous les mêmes outils. J’ai la chance de pouvoir utiliser les outils qui sont développés chez Team New Zealand pour la Coupe de l’America et d’être entouré de beaucoup d’experts.
Source: Voiles et Voiliers