Rencontre avec Guillaume Verdier
Safran et Groupe Bel ont terminé la dernière Transat Jacques Vabre aux deux premières places, avec des bateaux tous deux signés Guillaume Verdier/VPLP. Des engins légers, étroits et maniables… à l’opposé de la « tendance puissance » du dernier Vendée Globe.
De leur côté, Jean-Pierre Dick et Vincent Riou suivent cette voie pour leurs futurs monocoques. Le nouveau Paprec-Virbac de Jean-Pierre Dick est bien avancé chez Cookson en Nouvelle-Zélande tout comme le nouveau PRB de Vincent Riou, en phase de finition chez CDK à Port La Foret. On murmure encore que Jean Le Cam et Michel Desjoyeaux étudient aussi la possibilité de suivre cette voie.
Autant d’occasions de demander son avis au principal intéressé, Guillaume Verdier.
Guillaume, vous surfez tout en haut de la vague en ce moment…
« Quand Safran, mené par Marc Guillemot, a terminé deuxième dans la Transat Jacques Vabre 2007, je croyais que je ne pourrais pas obtenir un meilleur résultat. C’était une situation idéale et je n’imaginais pas cela arriver une deuxième fois dans ma carrière. Et puis voilà, cela arrive encore… et c’est peut-être encore mieux avec Safran et Groupe Bel premier et deuxième cette année. C’est fabuleux pour moi ! Mais mon boulot c’est un peu comme la mer avec les vagues… j’imagine qu’on va descendre maintenant ! Ce ne serait pas le moment pourtant, car j’ai plusieurs nouveaux Open 60’ à dessiner. »
Que pensez-vous des succès de Safran et Groupe Bel ?
« Il est important de souligner que le succès n’est pas seulement dû aux bateaux. Les marins ont fait un boulot incroyable en choisissant une route ouest qui comportait des risques, d’autant que Michel Desjoyeaux avait choisi une autre option. Mais la trajectoire rectiligne de Safran m’a vraiment impressionné : ils ne descendaient pas du tout. Je crois que c’est la première fois que je note une trajectoire aussi directe. Marc Guillemot et Charles Caudrelier ont été très efficaces et très complémentaires. »
Safran et Groupe Bel, se ressemblent, mais ont-ils des différences ?
« Il n’y a pas une énorme différence entre les deux. Ils ne se comportent pas tout à fait de la même manière, car Groupe Bel dispose d’un mât aile qui offre une meilleure performance aérodynamique… mais ceci est compensé par le fait que Safran est un peu plus léger. »
Quelle est votre vraie passion, les calculs et la science ou la voile? A ce sujet, on note que Juan Kouyoumdjian était étudiant en même temps que vous..
« La voile a toujours été ma vraie passion. Je n’avais pas de passion pour les maths – même si j’en ai fait beaucoup – mais plutôt pour la physique. Quand j’ai terminé mes études à Southampton en 1993, il n’y avait pas beaucoup de boulot et j’ai donc poursuivi par une maîtrise, puis un doctorat à Copenhague. Juan K était un ou deux ans après moi, mais je suis entré dans le marché du travail après lui. A l’époque, je pensais qu’il fallait que je me spécialise. Car il ne suffit pas de dessiner : j’ai beaucoup travaillé sur les structures et les calculs structurels. Les portes se sont ouvertes chez Finot grâce à ces calculs et j’y suis resté cinq ans et demi. Quand j’ai commencé à travailler sur Group 4 pour Mike Golding, j’étais responsable des plans du bateau et j’avais déjà travaillé aussi pour Soldini. J’ai dessiné la première quille de Mike, qui a touché le fond au Cap Reinga (en Nouvelle Zélande – NDLR). »
La leçon la plus importante de cette période chez Finot ?
« C’était encore une petite société, à l’époque. Il fallait tout faire et j’ai surtout compris l’importance de la structure. Cette période m’a tout appris. J’avais les outils et c’est là que j’ai bien appris le boulot. Ils m’ont permis de travailler à ma façon et je continue de travailler comme cela sur les structures et l’hydrodynamique. »
Pourquoi cette association avec VPLP ?
« J’avais l’expérience des Open 60 et Vincent (Lauriot-Prévost, ndr) n’en avait pas sur ces bateaux : il ignorait la jauge IMOCA, les règles, le comportement de la coque. Il n’avait pas cette culture. Mais en dehors de ça, il avait tout : l’organisation, la connaissance des bateaux légers… et de plus nous étions déjà de bons amis ! A un moment, nous nous sommes dit : « et si on faisait un Open 60 ensemble ? » Pour moi, trouver un sponsor aurait été impossible étant donné la taille de mon entreprise et je n’étais pas assez connu. Vincent, lui, avait besoin de mes connaissances en matière de monocoques. C’était donc une belle opportunité pour nous deux ! Nous avons trouvé Marc Guillemot et Safran… et voilà. C’est une belle histoire. Sur d’autres projets, nous restons néanmoins concurrents : j’ai fait le trimaran Actual et Vincent va faire un Class 40. »
Comment travaillez-vous ensemble ?
« Nous ne sommes pas mariés! Lui s’occupe de l’organisation et me met la pression en réclamant des dessins. Je travaille parfois chez eux… ou parfois ils viennent chez moi. Vincent gère le projet, s’occupe du plan de pont, du plan de voilure et de la configuration des appendices. Je dessine les appendices – leur structure et leur forme – mais pas leur emplacement. Je dessine la forme de la coque, leur explique ce que l’on fait et pourquoi… et nous échangeons beaucoup. »
Quelles sont les tendances pour la nouvelle génération de bateaux?
« Un bateau polyvalent. Nous essayons de construire des bateaux qui soient rapides sans avoir trop de ballast, qui peuvent glisser l’étrave en l’air. Je travaille sur la forme de la coque pour améliorer ça. Il faut jouer avec la forme de coque, les ballasts, la quille et l’emplacement des dérives. Quant au gréement, on progresse en travaillant avec un voilier. Ce sont certes de petites améliorations, de petits pas en avant. Les modifications de la jauge conviennent bien à Safran : nous essayons de voir si nous pouvons mieux faire encore, mais cela se complique forcément avec des contraintes plus importantes. »
Safran est un bateau moins « sollicitant » pour le marin, non ?
« En dessinant Safran, nous sommes partis de l’idée que l’homme est plus important que la machine. En regardant de près, on s’aperçoit que la puissance des bateaux n’est pas si primordiale. Ce qui est problématique avec les monocoques est que l’on dispose de spis. Or si vous avez des muscles, vous pouvez changer de voile plus souvent que quelqu’un qui n’a pas ces forces. Mais changer la voile d’avant est fatiguant, d’autant que sur un Open 60 IMOCA, il y a moins de vent apparent que sur un multi et il faut faire vite. Donc si vous construisez un bateau tellement puissant qu’il faut changer les voiles toutes les cinq minutes pour profiter de cette puissance, les gars seront rapidement lessivés. C’est pour cette raison qu’avec Safran notre premier paramètre a été de déterminer combien de kilos on peut déplacer. A partir de là, on a déterminé la hauteur du mât et ensuite tous les autres éléments. C’est plutôt le contraire de ce que font les autres. Safran n’est pas seulement une machine, mais une machine faite pour un solitaire.. . Maintenant, les skippers savent ce qu’ils veulent et il n’y a pas de bateau type pour le Vendée Globe. Si vous avez devant vous un marin sportif déterminé à faire marcher le bateau selon ses polaires maximales en permanence, alors il faut faire un bateau plus puissant, avec une plus grande surface de voile. »
Combien de bateaux dessinerez-vous pour le prochain Vendée Globe ?
« Nous en aurons au moins quatre en course : Safran, Groupe Bel, PRB et Paprec Virbac… et si on a de la chance un ou deux de plus, mais je n’en sais rien ! Un bateau n’est pas terminé pour nous tant que la course n’est pas finie. Et cela devient très stressant : je garde mon portable sur moi et chaque fois que cela sonne, je vérifie qui m’appelle. Et on m’appelle souvent la nuit. J’ai dit aux marins de m’appeler très souvent, pas seulement lorsqu’il y a de la casse ! »
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