Le plateau IMOCA de la Transat Jacques Vabre, décryptage et évolutions par Guillaume Verdier
Guillaume Verdier est l’un des grands architectes navals de la classe IMOCA. Il nous livre son analyse sur l’évolution de la classe, depuis ses débuts dans le circuit en 1997, mais aussi son avis sur les forces en présence.
Comment la classe a-t-elle évolué et quels sont les changements architecturaux que l’on a pu voir depuis la dernière génération ?
Ce sont des avancées pas à pas. En tant que class Open, l’IMOCA permet de proposer des choses librement. Ce qui est éprouvé finit par être adopté par d’autres. C’est une sélection darwinienne des évolutions. La compétition pousse à ça. L’architecture et les techniques de navigation qui dominent se poursuivent.
J’ai commencé à travailler pour les IMOCA en 1997, salarié par le groupe Finot. On a dessiné PRB, le bateau avec lequel Michel Desjoyeaux a remporté deux fois le Vendée Globe. Il avait déjà des dérives pivotantes, des safrans qui tournent, un mât qui tourne. C’était déjà des bateaux compliqués à cette époque. Ça n’a pas trop évolué à ce sujet.
Michel nous avait demandé de protéger les marins en navigation. On avait donc fait un habitacle très protégé. Yves Parlier, sur Aquitaine Innovation était très exposé, mais son bateau était rapide et léger.
Il faut prendre des risques pour se protéger et être mieux. En général, ça paye. Une grosse partie de l’architecture pour le solitaire doit être tournée vers le fait que le marin doit pouvoir se servir de sa machine. Or, ce sont des bateaux difficiles.
Une des grosses évolutions technologiques vient de la Coupe de l’America. J’ai travaillé pour Team New Zealand. On était les premiers à faire voler les bateaux au près et au portant avec des foils. J’ai proposé ça sur Safran 2 en 2015.
La dernière génération de foil a beaucoup grandi. J’ai dessiné mes premiers grands foils pour Sam Davies. C’était des plans porteurs en forme d’aile d’oiseau. On aurait moyen de rendre les bateaux encore plus performants, mais la jauge cadre la taille des foils. Ça permet aux anciens bateaux de rester un peu dans le match.
Je trouve ça dommage de ne pas utiliser de plans porteurs sur les safrans. Ça permettrait d’avoir moins de secousses et d’être plus serein à bord. Ces bateaux sont très violents pour les marins. Depuis les foils, ils sont assez durs. Il faudrait que les prochaines générations soient plus faciles pour être efficaces.
Autre évolution, aujourd’hui, on met de la fibre optique partout dans le bateau. C’est un peu comme un système nerveux. Ça permet d’analyser le bateau et son utilisation : quand ça fait mal, quand il faut lever le pied, quand il faut moins tirer dessus. On voit des choses étonnantes. Il y a des alarmes partout.
Le milieu s’est aussi énormément professionnalisé. Les bateaux mis à l’eau marchent presque directement. Les marins s’entrainent avant sur des simulateurs. On a des optimiseurs qui trouvent les configurations optimales. Avant, on y allait à tâtons. Maintenant, on leur livre un mode d’emploi.
Au niveau de l’aérodynamisme, les bateaux récents ont moins de toile que les générations précédentes. Avoir moins de tissu en l’air permet d’avoir plus d’aérodynamisme. On étudie plus cette caractéristique, mais les bateaux ne vont pas super vite. Sur la Coupe de l’America, les bateaux vont à 100 km/h. En IMOCA, le vent vient plutôt sur le côté, l’aérodynamique de la forme est moins importante que sur la Coupe de l’America.
La qualité de construction a beaucoup évolué. C’est incroyable. C’est novateur. Quand on voit l’intérieur d’un bateau, c’est un travail d’orfèvrerie. Chaque pli a été coupé avec la plus grande attention et posé à quelques millimètres près. Tout est inspecté, avec des tests ultrasons. Le niveau d’attention a augmenté.
Est-ce qu’il y a une évolution dans les demandes des skippers ?
Oui, mais c’était déjà le cas. La demande de faire des bateaux plus exploitables, je l’ai toujours entendu. Ça a toujours été un sujet majeur. Mais tout en voulant toujours le bateau le plus rapide d’abord. Ils veulent la machine qui va le plus vite, mais aussi la plus exploitable. Ça ne peut être fait que dans l’autre sens.
C’est tentant d’avoir le bateau le plus confortable, qui fait le moins de bruit, le plus solide, avec le centre de gravité le plus bas. Il faut faire des choix et s’engager souvent radicalement dans une voie ou l’autre pour faire un bon bateau, et essayer d’être homogène.
On ne peut pas sacrifier tout pour le confort : la solidité, le poids. Ça doit être un ensemble homogène. Comme dans un avion. Il faut trouver un équilibre homogène dans notre réponse. On essaye de les guider.
Quelles sont les évolutions à venir, pour les prochaines éditions notamment ?
J’espère qu’ils vont arrêter de vouloir uniformiser les bateaux. On est en plein tournant technologique. C’est intéressant avec énormément de développement. On est freiné par la peur de l’augmentation des coûts. Mais à force de choisir la monotypie pour certains éléments – bôme, vérins…, – les sponsors partiront.
C’est un véritable attrait d’avoir la diversité. D’avoir une multitude d’architectes, qui font des choix différents et des bateaux qui ne se ressemblent pas. Ça rend la chose intéressante. Le Vendée globe, ce n’est pas qu’une personne qui fait le tour du monde. C’est une course architecturale et technologique.
J’espère qu’ils vont autoriser les plans porteurs sur les safrans. Ça mettra du temps, mais il n’y a aucun problème pour le faire. Ça fait 4 ans qu’on fait décoller les bateaux sur simulateur. Après, ce n’est pas forcément un mode de navigation pour le solitaire.
La Transat Jacques Vabre se court en double. Comment adapter un bateau pour les différentes configurations de course : double, solitaire, équipage ?
Les voiles ne sont pas les mêmes en solitaire ou en équipage. Dans le premier cas de figure, on prend des voiles qui s’autorégulent. Elles ne sont pas trop dures à régler et même si elles le sont mal, elles poussent le bateau en avant. Les voiles en équipage sont beaucoup plus efficaces, mais doivent être bien réglées pour l’être.
On s’adapte aussi aux routes que l’on fait. On ne navigue pas en tirant sur le bateau de la même manière. Le double, c’est un peu comme le solitaire. C’est un solitaire d’un quart sur deux.
Avec les nouveaux parcours de la Transat Jacques Vabre, est-ce que certains dessins de carène/certaines conceptions de bateaux vont être plus avantagés que d’autres ?
On voit des bateaux très durs à naviguer, pas très stables en gite. Ils sont plus durs que d’autres dans leur équilibre. On essaye de dessiner des formes de coque pour que ça s’ « auto-débrouille ». On n’a pas forcément la trainée la plus faible, mais on est assez stable pour prendre le relais du foil quand il décroche. C’est ma philosophie de carène. Je laisse les autres faire leurs choix.
Parmi les forces en présence, quels sont ceux qui ont le plus d’atout ? Bateaux et skippers ?
Il y en a pas mal. Il y a un paquet de marins expérimentés. Je pense qu’Apivia avec Charlie Dalin ont montré qu’ils étaient bien en phase. Thomas Ruyant est top aussi.
Il y a plein de supers bons marins, et pas seulement sur des bateaux que j’ai dessinés. Jérémie Beyou par exemple est très bon. Yannick Bestaven aussi. Il y a beaucoup de favoris. C’est chouette. Il ne faut sous-estimer personne. La course ce n’est pas qu’un bateau, il y a aussi plein de choix météo à faire.
Source: Bateaux.com