Guillaume Verdier sur tous les fronts
Entre la Coupe de l’America avec Emirates Team New Zealand, les nouveaux Imoca de Charlie Dalin et Thomas Ruyant, deux projets de construction pour The Ocean Race (voir notre article), le Pogo Foiler en Mini et autres, Guillaume Verdier est bien occupé ces derniers temps. L’architecte évoque ces différents projets pour Tip & Shaft, même s’il se montre parfois peu disert, tenu à de nombreuses clauses de confidentialité.
Les premières navigations de l’AC75 d’Emirates Team New Zealand t’ont-elles satisfait ?
C’est très difficile pour moi de parler du nouveau bateau, parce que je suis très limité dans ce que je peux dire, je ne peux qu’évoquer les grandes généralités. L’idée du bateau qui vient d’être lancé vient d’un pré-projet de 40 pieds sur lequel j’avais travaillé avec Ray Davies pour un client pendant la dernière Coupe. Nous avions commencé à dessiner un bateau et j’étais parti d’un concept proche d’un Imoca. Ray m’a dit que ce n’était pas possible d’avoir deux foils et une quille, je lui ai dit que nous pourrions faire deux foils basculants, pour aller d’une stabilité statique à une stabilité dynamique. C’est dans cette direction que nous sommes allés, on essaie de trouver la bonne transition entre stabilité statique et stabilité dynamique. Après, c’est vrai que ces derniers jours ont été un réel plaisir pour l’équipe. Quand nous avons vu les Américains décoller, ça a créé un buzz aussi pour nous. C’est tellement nouveau comme concept que c’était forcément un gros risque de n’avoir travaillé que sur simulateur. Si nous n’avions pas eu le simulateur, nous n’aurions d’ailleurs probablement pas pris le risque d’y aller sans passer par un petit monocoque-test.
As-tu justement des regrets de ne pas avoir fait de bateau-test ?
Nous n’avions pas le choix, dans la mesure où c’était une décision qui a été prise longtemps à l’avance. Souvenez-vous que le plan original était d’aller à Cagliari cet automne [pour disputer les premières America’s Cup World Series, NDLR]. Finalement tout a été reporté, mais nous devions mettre notre bateau sur un cargo pour l’emmener en Europe, tout le planning avait été élaboré en fonction de ça.
Quelles sont les options sur lesquelles vous travaillez pour développer le deuxième bateau ?
Je ne peux clairement pas en parler, nous ne pouvons pas révéler ce que nous faisons. Ce qui est sûr, c’est que ce sont des bateaux très complexes et qu’il faut déjà s’assurer que les choses marchent comme nous le pensions, pour pouvoir continuer. C’est comme un Imoca : quand tu finis le premier, quelqu’un arrive pour te demander d’en dessiner un suivant, tu n’arrêtes jamais de dessiner.
Il y a beaucoup de choses sur la table et d’options à prendre.Pourrait-on à terme voir arriver sur le marché de la régate un bateau de ce type, une sorte de TP52 avec des foils ?
C’était notre intention de départ, c’était un peu un rêve, mais je pense par exemple que l’on ne pourrait pas courir Sydney-Hobart sur un bateau comme celui-là. On pourrait faire un circuit inshore, mais je ne pense pas que le grand public pourrait avoir accès à des bateaux comme ça, il faudrait quand même avoir des ballasts fixes qui donnent de la stabilité, c’est quand même un bateau assez étrange, pas très naturel.Parlons maintenant de l’Imoca : tu as dessiné les bateaux de Charlie Dalin et de Thomas Ruyant, comment juges-tu les dernières évolutions ?
Il y a beaucoup de choses qui se passent en Imoca et une grande diversité de concepts et d’architectes, c’est vraiment motivant et excitant. Les bateaux de Charlie et de Thomas ne sont pas très différents – le roof et le cockpit le sont – ils s’appuient tous les deux sur la forme de carène pour performer, dans le sens où je pense que la forme de carène est toujours un facteur important pour le Vendée Globe. Le mât est le facteur limitant de la classe Imoca : c’est un mât monotype qui ne peut supporter que des charges données, donc ça veut dire que si tu dessines des foils incroyables, tu dois être sûr qu’ils ne vont pas excéder les capacités du mât. Et avec ces bateaux, quel que soit le foil que tu fais, ça va être difficile de marcher au près. Donc si tu fais des foils trop grands pour le près, tu risques de casser ton mât au reaching. Les foils que j’ai dessinés sont déjà assez grands, probablement les plus grands, mais dans ce cas, il faut être sûr que ça ne risque pas d’endommager le mât. Donc mon idée a été de concevoir une forme de carène capable de créer du moment de redressement au près, tout en faisant un bateau polyvalent, bon dans les petits airs et dans les transitions. Si tu fais un bateau très très radical typé reaching, tu risques de te retrouver coincé au portant.
Que penses-tu du cockpit complètement fermé que l’on retrouve sur Hugo Boss ?
Si c’était mon bateau, je souhaiterais être en mesure d’avoir une bonne visibilité devant et de sentir le vent quand je barre, un peu comme nous avons fait sur Gitana, où tu peux avoir un bon feeling tout en étant bien protégé. Je n’aimerais pas naviguer dans une cave. Après, chacun ses goûts.
Tu as fait beaucoup d’études pour le projet Volvo Super 60 (projet de 60 pieds monotype abandonné suite au changement de propriétaires de The Ocean Race), en quoi ces nouveaux bateaux sont différents du Volvo Super 60 ?
Le bateau de Thomas a la même coque, même si nous avons fait quelques petites adaptations, celle de Charlie est légèrement différente, c’est aussi en fonction du feeling du marin. Nous avons passé un an et demi, presque deux ans, à travailler sur les études avant de nous lancer. J’ai eu beaucoup de chance de disposer de tout ce temps sur le Super 60, ça m’a permis de disposer de plein d’options différentes et de piocher dedans pour Charlie et Thomas. C’était génial, merci à Nick Bice et aux gars de la Volvo de m’avoir permis de faire ça.
A propos de The Ocean Race, tu travailles sur deux projets (11th Hour Racing et Switchback), peux-tu nous le confirmer et à quelles différences notables t’attends-tu sur ces futurs nouveaux bateaux ?
Je travaille bien pour deux équipes, dont je ne peux dévoiler le nom, une pour laquelle nous en sommes aux études préliminaires, et une autre pour laquelle nous venons tout juste de démarrer la construction. C’est le sujet du moment, nous avons face à nous des clients très expérimentés qui arrivent avec leurs idées, donc je pense que ça va changer un peu la donne. Nous avons constitué de gros design teams autour d’eux, et il y a beaucoup d’interactions, ça va être une approche très intéressante.
Penses-tu qu’il va y avoir assez de bateaux qui vont passer du Vendée Globe à The Ocean Race ?
A mon avis, ça sera possible de courir The Ocean Race avec les Imoca existants. Si tu fais de la place dans le cockpit, ce sera certes un peu serré, mais ça le fera. Ce qui est certain, c’est que les foils dans les deux ans à venir vont encore beaucoup évoluer, c’est probable que ce ne soient pas les mêmes qu’aujourd’hui, mais un gars qui a un 60 pieds aujourd’hui pourra toujours acheter des foils de nouvelle génération et les installer sur son bateau pour courir The Ocean Race. J’espère donc qu’il y aura des inscrits qui viendront du Vendée Globe.
Le parcours de The Ocean Race sera-t-il compatible pour un bateau dessiné pour le Vendée Globe ?
A peu près, oui. Ils n’ont pas encore dévoilé le parcours final, nous ne savons pas par exemple s’ils vont aller à Hongkong, mais apparemment, il va y avoir beaucoup de portant. S’ils font une étape entre Auckland et Le Cap, ça fait très long, pareil si tu vas du Brésil à Sydney ou ailleurs en Australie, donc je pense qu’il y aura probablement plus de portant que la dernière fois.
Photo : Emirates Team New Zealand
Sources @Tip&Shaft.com