Guillaume Verdier : « Des bateaux trop énergivores ! »
Depuis le Néo-Zélandais Bruce Farr, dont les bateaux ont outrageusement dominé la course au large dans les années 1990-2000 (Ton Cups, Volvo Ocean Race, Vendée Globe…) mais qui, paradoxalement, n’est jamais parvenu à remporter la Coupe de l’America, aucun architecte naval dans le monde ne semble aussi incontournable que Guillaume Verdier aujourd’hui. A 46 ans, diplômé de l’école d’architecture navale de Southampton et après avoir débuté au sein du cabinet Finot-Conq, il collabore depuis 2010 avec l’équipe néo-zélandaise. Tous les défis engagés dans la 35e Coupe de l’America se sont largement inspirés de ses appendices… même si l’homme reste d’une grande modestie et insiste sur le travail d’équipe. Entretien avec l’architecte au soir de cette première journée de finale des challengers alors que les Kiwis mènent 2 à 1.
Voilesetvoiliers.com : Peux-tu nous rappeler ton rôle dans la conception d’Emirates Team New Zealand ?
Guillaume Verdier : Il est important de bien préciser que je ne suis par l’architecte d’Emirates Team New Zealand. Déjà, le terme d’architecte principal n’existe plus vraiment cette année, car les AC Class sont des monotypes. Du coup, j’ai un rôle de vision globale, ce qui signifie que je dois m’intéresser au fonctionnement du bateau dans sa globalité. Néanmoins aujourd’hui, Dan Bernasconi est le directeur technique et donc le coordinateur scientifique de l’équipe, et mon rôle dans cette campagne a été de travailler sur le dessin des appendices (foils et safrans) alors qu’en 2013, c’était essentiellement sur les coques.
Voilesetvoiliers.com : Il paraît que les Kiwis ont énormément travaillé en amont sur les outils ?
G. V. : Oui c’est exact. J’utilise d’ailleurs ceux qui sont développés en interne et participe un peu au développement de ceux d’estimation de performance du bateau. On a des simulateurs qui ressemblent un peu à ce qu’on voit en Formule 1 ou en jeu vidéo. On dessine des appendices qui sont d’abord testés par les navigants en simulateur, puis ensuite sur l’eau. La vérité est évidemment sur l’eau, et c’est là que l’on sait s’il y a eu des différences avec le simulateur, notamment sur la traînée. Une partie de notre travail est aussi d’essayer de comprendre comment on calcule la traînée à l’interface entre la mer et l’aile, l’effet du «spray» sur la coque, les problèmes de cavitation et de ventilation… Cela reste complexe.
Voilesetvoiliers.com : Tu ne travailles pas tout seul sur les appendices ?
G. V. : Non ! La manière dont on fonctionne est séduisante. Chez Team New Zealand, c’est une organisation très horizontale. Il n’y a pas vraiment de chef ! Si je fais un foil qui est meilleur, c’est celui-là qui sera choisi. Contrairement à ce que l’on voit dans d’autres équipes et dans d’autres organigrammes, c’est très différent. Ici, si un stagiaire trouve un truc mieux, et bien on prendra son idée. Je dessine avec Bobby Kleinschmidt, un jeune architecte très brillant qui travaille notamment avec moi aussi sur les IMOCA et le Maxi Edmond de Rothschild, et également avec Nick Hutchins qui a démarré avec Team New Zealand très jeune (il en est à sa 4e campagne) et est spécialisé dans tout ce qui est profil de foils. Il s’occupe notamment des calculs de fluide. Enfin, Véronique Soulé a souvent collaboré avec moi en France.
Voilesetvoiliers.com : Votre bateau donne une impression de fluidité à tous les niveaux, notamment lors des transitions et manœuvres. Comment l’expliques-tu ?
G. V. : L’un des problèmes essentiels sur ces bateaux, c’est la gestion de l’énergie. On a vu que les Anglais et les Français notamment manquaient parfois de jus. Les grinders n’en pouvaient plus. Dès qu’il y a de la brise, ce sont des bateaux trop énergivores et on a vu plusieurs concurrents craquer au près à cause de ça. Si tu manques d’énergie, les foils ne jouent plus totalement leur rôle, et le bateau ne redécolle plus aussi facilement, notamment lors des relances.
Voilesetvoiliers.com : La solution ce sont donc les pédaliers de vélos ?
G. V. : A bord d’Emirates Team New Zealand, il ne faut pas croire qu’avec les vélos c’est plus facile qu’avec les colonnes. Sur un vélo on n’a pas de volant d’inertie comme sur une route plate. C’est un peu comme si l’on montait une cote en permanence ! Et on ne produit pas plus de watts avec les jambes qu’avec les bras. Le facteur limitant, c’est le cœur de l’athlète ! Le vélo c’est très bien quand on a besoin de sortir beaucoup de watts en peu de temps. Les jambes sont plus efficaces que les bras, mais ce n’est pas évident que ce soit mieux au final. Et c’est bien pour ça que les autres défis n’ont pas choisi cette solution.
Voilesetvoiliers.com : Votre bateau vire et empanne à une vitesse incroyable par rapport aux autres. Cela vient d’où ? C’est une technique propre à Peter Burling le barreur ?
G. V. : Je pense que les autres tournent vite aussi. C’est vraiment à la fois une technique de barre et aussi le contrôle du foil. En fait, je pense surtout que c’est une histoire de synchronisation, et que nous avons un très grand niveau de synchro. C’est là-dessus que l’équipage travaille. On avait déjà cette synchronisation sur l’AC45 Turbo et sur les simulateurs. C’est clairement un plus.
Voilesetvoiliers.com : Mais il n’y a pas que cela…
G. V. : Team New Zealand, c’est une belle mécanique. Ce qui est impressionnant, c’est qu’à chaque emmerde on se dit que c’est une opportunité pour en tirer le meilleur… On n’a pas des moyens énormes non plus, mais c’est une super équipe.
Voilesetvoiliers.com : Il n’y avait pas moyen de prévoir des systèmes n’imposant pas cette débauche d’énergie de la part des quatre wincheurs ou cyclistes ?
G. V. : Bien sûr que si ! Déjà, on n’a pas le droit à l’asservissement automatique. Si au moins on pouvait faire comme sur le Moth à foil avec un petit palpeur, cela nécessiterait beaucoup moins d’efforts. Et si on avait de petits volets sur les foils, ça limiterait également terriblement les efforts. C’est vraiment un design un peu brutal qui nous a été imposé par les règles, car on aurait moyen de faire beaucoup plus simple. Si au moins on avait des systèmes autorisés comme les vieux «autopilotes» et les régulateurs d’allure, on pourrait avoir des systèmes moins énergivores. Le réglage des appendices nécessite une pression hydraulique énorme, et si on voit des équipiers pédaler ou mouliner continuellement, c’est pour pouvoir produire cette énergie et garder l’huile en pression. Cette dernière est redirigée vers le haut de l’aile, vers le contrôle des foils et des safrans.
Voilesetvoiliers.com : Il n’y a donc plus de winches à bord…
G. V. : En effet. Ils ont été supprimés et remplacés par le tout hydraulique. On a une sorte de console de réglage et des espèces de joysticks.
Voilesetvoiliers.com : Quel est ton sentiment sur Artemis ?
G. V. : Ils vont vite et sont très impressionnants tactiquement je trouve. Dans le dernier match de la demi-finale face aux Japonais, ils ont parfaitement navigué et pas commis la moindre erreur.
Voilesetvoiliers.com : Es-tu optimiste quant à vos chances d’aller très loin ?
G. V. : Pour l’instant, ça se passe plutôt bien, mais il suffit d’avoir un problème technique en début de course, ne pas pouvoir réparer dans les temps et perdre trois matchs. On a eu de la chance après notre chavirage (en demi-finale face à Land Rover BAR, ndlr) d’avoir 24 heures de plus, car sinon, nous n’étions pas du tout certains d’être prêts avec notre aile endommagée. Nous aurions pu naviguer certes, mais sans être au point.
Voilesetvoiliers.com : Quel regard portes-tu sur Groupama Team France et son parcours aux Bermudes ?
G. V. : Il y a des gens hyperbrillants dans cette équipe, parmi les marins, les membres du design team, l’équipe à terre, le bureau d’études… Je crois qu’ils ont manqué d’une culture d’organisation de la «mécanique Coupe de l’America», mais je ne suis pas dans leur équipe, et ça m’est difficile de juger. La Coupe, ce n’est pas une Volvo Ocean Race, un Vendée Globe ou une Route du Rhum. C’est quand même autre chose. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont fait un boulot assez incroyable, car leurs débuts en navigation étaient assez catastrophiques et, à la fin, ils ont réalisé quelques régates remarquables. Mon sentiment, c’est qu’ils n’ont pas assez investi dans la gestion énergétique… et c’est un aspect crucial. En tout cas, c’est chouette qu’ils aient pu faire ça et j’espère que cela a été suivi en France, car ce sont quand mêmes des bateaux extraordinaires !
Les régates du jour
Et Outteridge tomba à l’eau…
Trois régates furent disputées en cette première journée de finale des challengers, hier samedi 10 juin. Le bilan se chiffre à 2 à 1 pour Emirates Team New Zealand mais tout n’a pas été simple pour les Kiwis.
Lors de la première manche, le départ a été gagné par les Suédois mais à la première marque, Emirates Team New Zealand n’accusait plus que cinq secondes de retard. Les Suédois mordaient ensuite sur la limite du cadre, les fameuses boundaries, ce qui permettait aux Kiwis de prendre l’avantage et de gagner.
Lors de la deuxième régate, nouvel avantage d’Artemis au départ qui, malgré la menace omniprésente, a parfaitement appliqué le manuel du parfait match-racer en contrôlant Emirates Team New Zealand à la perfection.
La troisième régate fut la plus surprenante ! Départ à égalité, régate engagée… jusqu’au moment où Nathan Outteridge, le barreur d’Artemis, tombait à l’eau ! «Ces bateaux manœuvrent très rapidement, expliquait-il ensuite. Au moment où je traversais la plate-forme, il s’est redressé, ce qui m’a fait glisser. Si je n’avais pas glissé dans cette dernière course, je pense que nous aurions terminé la journée à 2 – 1 en notre faveur. C’est un peu décevant, mais dans l’ensemble, nous sommes très heureux de notre performance de ce premier jour. »
Trois autres régates sont au programme de ce 11 juin.
35e Coupe de l’America
Finales des challengers
(Louis Vuitton America’s Cup Challengers Playoffs finals)
Manches du 10 juin 2017
Course 1 – Emirates Team New Zealand bat Artemis Racing de 47 secondes.
Course 2 – Artemis Racing bat Emirates Team New Zealand de 15 secondes.
Course 3 – Emirates Team New Zealand bat Artemis Racing sur abandon.
Classement
Emirates Team New Zealand (NZL), 2 points
Artemis Racing (SUE), 1 point.
Programme du dimanche 11 juin
Trois manches à suivre à 19 heures 12 ; 19 heures 51 et 20 heures 30.
Est qualifié pour la 35e America’s Cup, le premier des deux équipages vainqueurs de cinq régates.
Rédigé par Didier Ravon