Coupe de l’America. Verdier : « On peut dessiner de chouettes monocoques ! »
Guillaume Verdier est l’architecte naval dans le vent. Le Vannetais de 47 ans a dessiné le futur monocoque 60 pieds de la Volvo Ocean Race. Il a surtout grandement contribué au succès des Néo-Zélandais dans la Coupe de l’America aux Bermudes. Les appendices du catamaran kiwi, c’était lui.
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>Commençons par les foils de l’AC50 néo-zélandais : c’était quoi le secret ?
Déjà, je n’étais pas seul sur les foils, j’ai travaillé avec Nick Hutchins et Bobby Kleinschmit. Bobby bosse aussi avec moi sur les Imoca et les VOR. Chez Team New Zealand, nous étions co-responsables. Disons qu’aux Bermudes, on avait les foils qui allaient bien dans cette force de vent-là. Il semblerait qu’Oracle ait fait des foils qui avaient des trous dans certaines forces de vent, notamment dans 8-10 noeuds. Nos foils avaient beaucoup d’allongement, ils étaient fins et très raides. Il y avait aussi cette cassure particulière, cette double cassure. C’était un peu comme un chanfrein dans la diagonale qui était très longue. Sur Oracle, ils avaient beaucoup rayonné cette diagonale. Et cette diagonale a la particularité de rendre le bateau très instable mais elle maximise la portance. Nick Hutchins a beaucoup travaillé sur la cavitation, on a dessiné nos profils pour minimiser cette cavitation et cette ventilation. L’autre critère important, c’est l’endroit où on perce l’eau. Là, on a essayé d’être très fin. On avait des profils très différents selon les zones du foil. On ne le voyait pas car tout était noir. Mais comme on avait un système de contrôle de stabilité très perfectionné, on arrivait à naviguer dans la tranche de foil qui allait bien, on perçait toujours au même endroit, à la même altitude. Le grand danger pour ces foils-là, c’est de monter trop haut avec le bateau et que la flottaison passe dans la diagonale. Là, ce serait dramatique car on glisserait énormément en latéral et on perdrait le contrôle complètement. On a vu ça sur certains bateaux d’ailleurs…
>Vous êtes arrivés aux Bermudes assez tard, en avril. Pourquoi ce choix ?
On n’a pas eu le choix, on ne pouvait pas partir avant car on n’avait pas l’argent pour vivre et rester aux Bermdues. Donc voilà pourquoi on est arrivé le plus tard possible. Après, météorogiquement parlant, c’était bien de naviguer le plus tard possible en Nouvelle-Zélande, où on avait du vent qui était similaire à celui que l’on devait avoir aux Bermudes. Les Américains ont navigué dans du vent fort et ils ne se sont peut-être pas assez entraînés dans le petit temps.
> Il n’y a pas eu de match en finale. Comment expliquez-vous cette nette domination ?
On a progressé énormément mais je crois aussi qu’on a navigué dans une tranche de vent qui nous allait bien. Je pense que ça aurait été plus dur dans du vent supérieur. Entre 16 et 18 noeuds, ça n’aurait pas été aussi facile. Les Américains avaient sans doute typé leur bateau pour plus de vent.
> Un mot sur le défi français ?
Ils ont énormément progressé. Ils ont réussi à être beaucoup plus stables à la fin. Au début, c’était vraiment catastrophique. Ils ont connu la plus grosse marge de progression de toutes les équipes engagées aux Bermudes. Ils étaient même très bien sur la fin. Là où ils ont péché, c’était sur le système de contrôle hydraulique, la gestion de l’énergie. La gestion de l’énergie faisait qu’ils devaient être épuisés à bord, ils étaient tout le temps en train de « perdre de l’huile », donc de perdre de la pression. Ils ont souffert dans la « mécanotronique », la mécanique associée à l’électronique.
Oui, je crois que je vais rester avec eux (rires). Je bosse avec les Kiwis depuis 2009. Je pense qu’ils vont me demander la même chose. Je suis architecte donc j’ai un droit de regard sur tout, aussi bien sur l’aile que sur les foils. Là, j’étais plus spécialisé sur les foils car c’était le domaine laissé par Oracle, c’était devenu une monotypie. Je travaillais aussi sur autre chose que les foils, comme le centrage de masse, l’analyse de performances.
> Des « cyclistes » qui remplacent des marins : vous en pensez quoi ?
Cela ne vient pas de moi mais c’était une très bonne idée. Il faut savoir que le facteur limitant, c’est le cardio. Qu’on tourne des bras ou des jambes, c’est le coeur qui limite. Si on est limité par le coeur, on ne va pas très loin en endurance. Ce qui est important, c’est de pouvoir monter dans les tours et en puissance dans un virement ou dans un empannage. Pour cela, les jambes sont efficaces car on peut mettre sa masse sur les pédales mais si on doit faire 20 minutes à pomper, ce n’est pas beaucoup mieux de faire du vélo que mouliner avec les bras. En revanche, notre corps est plus apte à tourner des jambes que des bras. Au niveau articulaire, c’est mieux ou disons moins mauvais pour le corps.
> Loïck Peyron a écrit qu’il fallait peut-être « remettre des marins et des voiles à bord et enlever les cyclistes et l’huile ». Votre avis ?
Nous, si on a mis des cyclistes, c’était pour leur libérer les mains et faire des actions de contrôle sur le bateau, donc faire ce que font les marins. Qu’il n’y ait plus de bouts, je trouve ça plutôt bien. Après, qu’il n’y ait plus de voile, bon… L’aile comme la voile, ça reste un objet aérodynamique.
> Les Néo-Zélandais n’ont pas exclu un retour au monocoque. Vous y croyez ?
On en a parlé, c’est possible. Ils en discuteront avec les gens qui les financent mais je reste en dehors de ces discussions-là.
> Ce serait un grand pas en arrière le retour au monocoque ?
Non, je ne pense pas. J’ai confiance dans notre équipe, je pense que le bateau qu’on fera sera impressionnant. Oui je pense qu’un monocoque peut être impressionnant. On peut tout imaginer, c’est ouvert. Les Néo-Zélandais m’ont fait travailler sur certaines pistes mais je n’ai pas le droit d’en parler. Mais on peut faire des monocoques chouettes. Après, est-ce vraiment approprié ? Je ne sais pas.
> Ne trouvez pas dommage de mettre les AC50 à la poubelle ?
Ce serait intelligent de garder les AC50 et de faire une « box-rules » autour, c’est-à-dire d’ouvrir l’architecture en partant de la base actuelle. Ce serait intéressant, ça me plairait. C’est un avis très personnel mais on pourrait laisser tout ouvert. D’un point de vue économique, ce serait pas mal, il y a déjà un certain nombre de bateaux qui existent. On pourrait les faire évoluer, les faire perdurer, ce serait une chouette dynamique. Cela permettrait à ceux qui en possèdent de continuer et à d’autres de les racheter. J’avais pensé la même chose pour les AC72, je trouvais dommage de balancer les AC72, il aurait fallu continuer sur la même base et développer autour, au lieu de les mettre à la poubelle. Selon moi, la taille idéale, c’est un peu plus que 50 pieds, peut-être 60 ou 65 pieds.
> Un 60 pieds monocoque à foil ? Un bateau à tout faire, le Vendée Globe, la Volvo Ocean Race et la Coupe de l’America…
(il éclate de rires). Quand je disais 60 ou 65 pieds, je pensais à un multicoque.
> Selon vous, quand les Néo-Zélandais vont-ils annoncer le choix du bateau ?
Je ne sais pas du tout. J’imagine que, dans deux mois, ils vont annoncer quelque chose. Mais je ne suis pas dans le secret.
Recueilli par Philippe Eliès
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