Coupe de l’America. Dubois : « C’est très Français de s’autoflageller »
Après une longue carrière chez North Sails, qui lui confine une longue expérience en termes de voiles dans la Coupe de l’America, puis une charge de team manager auprès du syndicat chinois Dongfeng dans la Volvo Ocean Race, Bruno Dubois a pris fonction de directeur général de Groupama Team France. L’équipe de Franck Cammas a terminé 4e de l’étape toulonnaise des America’s Cup World Series, l’occasion de faire le point sur sa situation à 8 mois du coup d’envoi de la Coupe de l’America.
Bruno Dubois, comment vous situez-vous par rapport au timing que vous vous étiez fixé ?
Avec Franck, on s’était mis quelques points de passages dans notre cahier des charges, c’était un peu notre road book. On s’était dit qu’en 2015 on y allait pour regarder ce qui se passait, qu’en 2016 on allait essayer de montrer quelques aptitudes à bien fonctionner. On a fini 4es à Oman, 3es à New York, à Portsmouth on était en tête avec les Anglais au soir de la première journée, ici à Toulon on était 2es dans le petit temps après une journée de régates, tout ça est du positif, on sait qu’on est dans le Top 3 en dessous de 8 nœuds, ce sont de bonnes nouvelles car la Coupe se jouera dans le petit temps. Mais ça va aussi voler, et on a un manque d’heures de vol. C’est pour ça qu’on a construit ce bateau d’entraînement mis à l’eau début juillet avec lequel on navigue beaucoup depuis fin juillet. Franck engrange et engrange des heures de vol le plus possible. On essaie de rattraper le retard, et on verra ce que ça va donner par la suite. On a quatre mois en France et après deux à trois mois aux Bermudes pour continuer de s’entraîner et développer ce bateau, très technique à développer et c’est la partie où Franck excelle.
Aux Bermudes, les compteurs ne seront néanmoins pas remis à zéro, en dépit du fait que les bateaux ne seront plus des AC45…
C’est pour ça que tout le monde utilise un AC45 turbo. Pour développer le nombre de foils qu’on a le droit de développer avant. Contrairement à d’autres (Oracle, SoftBank Japan) le nôtre est un AC50 (les bateaux de la Coupe) avec des coques de 45. Le plan de pont est un plan de pont de 50 pieds, tous les systèmes, l’aile, les poutres, les safrans, les foils sont du 50 pieds, et tout ce qu’on aura à faire en fin d’année, ce sera changer les deux coques (comme Emirates Team New Zealand, Land Rover-BAR ou Artemis). On a optimisé ce qu’on avait à optimiser pour essayer de gagner du temps, de l’argent, et pouvoir naviguer tout de suite avec finalement le bateau qui sera celui de la Coupe. Parce qu’une fois qu’on vole, la longueur de coque ne change rien. L’objectif est donc de développer tout ça maintenant, et de ne pas attendre 2017.
D’autres, qui ont eu les budgets bien avant vous, ont démarré plus tôt. Comment estimez-vous votre déficit par rapport à eux ?
Ils ont commencé l’hiver dernier, mais ils ont très peu navigué. Ils ne naviguent régulièrement avec leur bateau que depuis février-mars, surtout Artemis, Oracle et Team Japan. Les Anglais ont commencé un peu plus tard, ce printemps, quand Team New Zealand et nous avons commencé à la fin du printemps ou au début de l’été. Par rapport aux meilleurs, on a six mois de retard, presque un an par rapport aux Américains qui avaient trafiqué un bateau qui leur a permis d’avancer.
Et ils disposent d’une surface financière qui leur permet de multiplier les tests de pièces, la mise au point de systèmes notamment hydrauliques !
Mais on ne peut pas dépasser en termes de fabrication et de tests la fabrication d’un certain nombre de tests pour laCoupe. On peut tester des méthodes de fabrication en revanche…
N’est-ce pas un écueil, dans la philosophie des choses, de vouloir faire très franco-français ?
Au plan industriel, les Français n’ont rien à envier aux étrangers. Et en termes humains, dans les design teams de toutes les équipes, je dis bien toutes, on trouve à leur tête des Français (notamment l’architecte Guillaume Verdier chez les Kiwis, les ingénieurs d’Airbus chez les Américains d’Oracle…). Chez nous, on a 17 personnes qui viennent du design team de Prada, des Italiens, des Argentins, trois Australiens, des Anglais, deux Néo-Zélandais, et notre design team fonctionne en langue anglaise… Alors il faut arrêter avec ça ! C’est très Français de s’autoflageller ! Mais on représente Team France ! C’est normal aussi, en représentant son pays, de vouloir représenter la technologie française ! Je pense que ce qui se passait avant, en France, était effectivement très franco-français. Mais avec Franck on a décidé d’ouvrir les portes pour aller chercher l’expérience où elle se trouvait. On a aussi un Kiwi (Adam Minoprio) champion du monde de match racing dans notre équipe de navigation, alors que Franck aurait pu considérer qu’il allait lui faire de l’ombre. Pas du tout ! Adam est indispensable à Franck pour que Franck se développe en match racing.
Comment fonctionnent les échanges d’informations avec les autres équipes ?
On est proches des Anglais parce que je m’entends très bien avec leur management et notamment l’ancien patron de chez Mercedes qui apporte beaucoup d’expérience de la Formule 1, je connais très bien le patron d’Oracle, on s’entend bien avec les autres équipes, à chaque escale (les étapes des ACWS) on se retrouve deux fois quatre heures à travailler sur cette Coupe et la prochaine… On a des échanges réguliers avec différentes personnes, mais on n’échange pas au niveau technique. Ce n’est pas l’objectif.
Votre idée par rapport à la Coupe, c’est un an pour voir, la deuxième pour briller et la troisième pour s’illustrer ?
C’est vraiment ça. Plus que voir, mais aussi être dans le match, jouer, et construire la première année. Construire l’équipe technique, bâtir en parallèle une équipe de jeunes, pouvoir développer nos propres choses avec nos partenaires comme Atos, Bull, DCNS, Altran, Dassault Systèmes… Des boîtes françaises, quand même ! Les étrangers viennent les chercher, viennent chercher leur technologie, donc on va aussi les chercher et comme ils sont aussi nos partenaires on les utilise aussi et c’est très bien.
On a beaucoup parlé ces derniers jours du virement de bord sur foils, un des points sur lesquels se jouera la Coupe, où en êtes-vous ?
On y travaille, on commence à en être proches. Ce n’est pas juste un exercice de marin, c’est aussi un exercice technique avec du matériel destiné à monter et descendre les foils rapidement. C’est en phase de développement, et avant la fin de l’année on y sera. C’est complexe, mais on y travaille. Et déjà, les Japonais (qui seraient les premiers à réaliser ce « foiling tack ») viennent me trouver pour me demander si on fait en manuel ou en automatique tout le travail… On n’a pas les moyens de le faire en automatique, avec des moteurs électriques, on fait donc tout en manuel. Les mecs sont en configuration Coupe de l’America (où les moteurs sont interdits). On est à neuf, on fait des rotations toute la journée pendant cinq à six heures sur l’eau. Les Japonais ont été impressionnés qu’on en soit là, sans rencontrer de problèmes techniques. À la Coupe, on aura quatre gars qui ne feront que ça. Wincher. Mais on essaie de ne pas prendre des mecs qui ne sont que des marmules, on prend des gars costauds qui savent naviguer et viennent des séries olympiques comme Thomas Le Breton.
Recueilli à Toulon par Olivier CLERC.