Charlie Dalin fait le bilan de ses quatre années avec Apivia 1 et évoque son futur IMOCA
Charlie Dalin a remis les clés d’Apivia 1 à sa nouvelle propriétaire, Clarisse Crémer, qui courra sous les couleurs de Banque Populaire. L’occasion pour Dalin de tirer le bilan de ses quatre saisons (de 2019 à 2022) passées à bord de ce bateau qui a apporté entière satisfaction et lui a permis de considérablement progresser. Le skipper parle aussi de sa future machine, Apivia 2, dont la mise à l’eau est prévue en mai-juin 2023, et qui s’annonce redoutable.
Lundi 12 décembre, vous avez confié APIVIA à Clarisse Crémer à Lorient. Cette transmission symbolise la fin du premier volet de votre histoire nautique avec Apivia. Qu’est-ce que ce moment t’a inspiré ?
Charlie Dalin : « J’ai transmis mon bateau à 20 mètres de l’endroit où APIVIA a été amarré pour la première fois, en 2019. Cela signifie aussi que je n’ai plus qu’un « bébé » en chantier, au lieu de deux. Ces derniers mois, l’équipe a fonctionné en parallèle, à la fois sur la conception du nouveau bateau et sur la préparation d’APIVIA pour la Route du Rhum. C’est aussi une petite pause qui s’annonce dans mon programme sur l’eau, et ça va me faire du bien : ces 4 ans ont constitué un seul et même gros bloc bien dense, de la mise à l’eau à l’arrivée de la Route du Rhum. Et, entre ces deux dates, les événements se sont enchaînés : la prise en main du bateau, la Transat Jacques Vabre 2019, le retour au chantier, le Vendée Globe 2020-2021, huit mois de récupération pour moi (nous sommes tous rentrés épuisés du Vendée Globe), puis la Transat Jacques Vabre 2021 et aussitôt la préparation de la Route du Rhum. Il y a également eu toutes les courses intermédiaires (la Vendée Arctique Les Sables-d’Olonne, le Défi Azimut Lorient Agglomération…) et les navigations partenaires. »
Quand devrait avoir lieu la mise à l’eau du nouvel APIVIA, et que comptes-tu faire entre-temps ?
C. D. : « Le bateau sera mis à l’eau en mai-juin 2023. D’ici là, je pense naviguer un peu en Figaro 3 lors des stages du pôle Finistère Course au large, mais je n’ai pas vraiment prévu de grosses navigations… »
Comment as-tu l’impression d’avoir évolué durant l’épopée 2019-2023 ?
C. D. : « Je sens que j’ai énormément évolué. Quand on a mis APIVIA à l’eau, je n’avais jamais skippé un bateau plus grand qu’un Figaro 2, et je n’avais jamais navigué dans les mers du sud à la façon du Vendée Globe, d’Ouest en Est. J’avais juste fait une transat en double en IMOCA avec Yann Eliès, sur un bateau à dérive droite. J’ai donc découvert en 2019 avec APIVIA les IMOCA à grands foils, aux performances tellement supérieures ! Je suis sorti en solitaire pour la première fois dans la baie de Salvador de Bahia à l’issue de notre victoire sur la Transat Jacques Vabre 2019, dans le petit temps. J’étais sur le qui-vive et je réduisais la toile à la moindre accélération. Même si le bateau était sous-toilé, on trouvait que ça allait déjà vite. Puis la connaissance du bateau évolue, tu appuies progressivement sur le champignon, jusqu’à te retrouver surtoilé durant la Route du Rhum, comme en Figaro 2… à ceci près que le bateau qu’on mène est en carbone et mesure 18 mètres… »
Tes connaissances de marin ont connu d’autres axes de progression ?
C. D. : « Ma connaissance du bateau a cru, aussi. La gestion de la navigation, les réglages, les manœuvres en solitaire, le sommeil, le rythme… J’ai appris à composer avec l’inconfort, la rudesse des chocs… ceci tout en apprenant à appuyer fort sur l’accélérateur. Et un jour, on se retrouve à l’aise avec l’idée d’aller dormir alors que le bateau a toute sa toile. En quatre ans, j’ai appris cette maîtrise. »
Cette deuxième génération d’IMOCA a poussé tous les curseurs de la régate ?
C. D. : « Ce n’était pas imaginable de « voler » au près avec les bateaux de première génération. Pour voler, il fallait qu’ils soient au portant dans du vent. Là, nous sommes capables de foiler à toutes les allures. Avec un minimum de vent, les IMOCA d’aujourd’hui vont beaucoup plus vite à toutes les allures de vent, de 11 à 40 nœuds. Les plages d’utilisation des foils ont augmenté, les jeux de voiles ont évolué, et on s’acclimate à tout ça, avec la conscience d’arpenter des terrains d’aventure et d’exploration. »
Avec la vitesse, ces terrains sont cabossés. Comment as-tu appris à accepter de te faire bousculer par ton bateau au cours de ces quatre ans ?
C. D. : « Dès la conception d’APIVIA, j’ai compris que ça allait bouger à bord. On sentait que les vitesses allaient beaucoup augmenter, et que ça allait taper. Je me suis bien creusé la tête pour savoir comment dormir, me reposer, travailler à la table à cartes… mais je ne pouvais que me projeter. Maintenant, je sais. Pour dessiner le nouvel APIVIA, nous avons beaucoup pris en compte l’ergonomie du bateau, au point que pas mal de décisions ont été dictées par l’organisation du bord. »
Ces quatre ans te permettent de viser plus juste en termes de design pour le nouveau bateau ?
C. D. : « Les milliers d’heures de navigation, les dizaines de milliers de milles courus, notamment lors du Vendée Globe, nous permettent de définir une ergonomie plus adaptée aux conditions qu’on rencontre, oui. APIVIA était un bateau tourné vers la performance, et l’ergonomie avait été pensée pour ça. La philosophie qui guide le dessin de APIVIA 2 est de faire un bateau sans compromis sur la performance, mais avec une ergonomie qui contrebalance l’inconfort que la performance va générer ».
Qu’est-ce qui t’a le plus touché, intimement, durant les quatre ans qui se sont écoulés ?
C. D. : « J’ai aimé le côté « bien né » du bateau. J’ai aimé toutes les phases de sa conception, travailler avec le bureau d’études, avec Guillaume Verdier, les choix qui ont été faits sur les coques, les foils, le cockpit fermé… Il y a eu plein « d’inputs » sur bateau, des idées à moi, et des idées des autres membres de l’équipe. J’ai aussi aimé ma première confrontation avec les autres. C’était lors d’un stage au Pôle Finistère. Je l’ai attendue, cette première confrontation : on construit nos bateaux pour cela. J’ai aussi, forcément, aimé l’enchaînement d’un certain nombre de succès à partager avec l’équipe, cette superbe équipe qui s’est tant investie et qui a tant de qualités… J’ai aimé découvrir ce travail d’équipe, si fondamental dans un projet d’une telle dimension, bien plus crucial qu’en classe Figaro, où tu noues une super confiance avec ton préparateur. »
Avec le temps, que représente ta victoire sur la Transat Jacques Vabre 2019 ?
C. D. : « Ma toute première course sur cet IMOCA, un super départ et ma première victoire ! J’avais à cœur de montrer à mon partenaire, qui m’avait accordé sa confiance au point de nous autoriser à construire un bateau neuf, que j’étais à la hauteur. Et nous avons bien enchaîné ensuite, avec deux titres de Champion IMOCA Globe Series. J’ai pris du plaisir du début à la fin, à terre, sur l’eau, dans le développement du bateau. Un lien fort s’est créé avec l’équipe d’Apivia dans son ensemble. Nous partions d’une page blanche, nous avons vécu quelques déceptions mais je me souviendrai surtout du meilleur. »
Quelles sont les déceptions qui vous ont marqué ?
C. D. : « Nous ne sommes pas passés loin de la victoire du Vendée Globe et de celle de la Route du Rhum. J’ai bien analysé mes courses, cherché où j’aurais pu gagner du temps, mieux faire. Cela me donne encre plus envie d’y retourner et de me battre pour la première place. »
Tu refais toujours la course du Vendée Globe ?
C. D. : « Je l’ai fait pas mal de fois, et il n’y a pas très longtemps encore. Et c’est marrant : avec ma progression dans la gestion globale de la navigation, je trouve plus de minutes à gagner qu’auparavant. Je les trouve dans des façons de faire, dans de nouveaux champs de possibles… »
Le Vendée Globe a été le cadre de la seule gestion de crise qu’a connue le projet APIVIA Voile…
C. D. : « C’est en effet la seule fois où nous avons été proches de l’abandon. Pendant deux ans et demi, tu es focalisé sur un seul objectif. Tout se passe exactement comme prévu. Tu as 300 milles d’avance à l’entrée dans l’océan Indien… et un beau jour, ta cale de foil casse. À bâbord, en plus, le bord dont tu auras le plus besoin sur la remontée. Tu sais que tu vas perdre du temps non-stop pendant deux semaines, avec jusqu’à 4 nœuds de perte de vitesse… Un boulet au pied qui t’obligera encore à ralentir à l’entrée du golfe de Gascogne… La morale de l’histoire ? Tu hausses les curseurs de résistance des systèmes sur le bateau d’après… »
Ton partenaire a rapidement annoncé continuer l’aventure IMOCA à tes côtés, c’est sensiblement la même équipe qui veille sur le projet, et vous construisez un nouveau bateau avec le même architecte. Ce sont des gages de fidélité importants !
C. D. : « On ne change pas une équipe qui gagne, n’est-ce pas ? (il sourit). J’ai été extrêmement satisfait de notre bateau, même si nous avons identifié quelques points qui nous ont poussés à entamer une nouvelle construction. Quand on a commencé à réfléchir à la suite, nous avons consulté d’autres architectes, aux projets très séduisants, mais il nous a paru important de favoriser la continuité, de travailler avec les mêmes outils et d’exploiter les énormes datas que nous avons compilées en quatre ans. Le bilan de Guillaume Verdier sur la Route du Rhum – 4 bateaux dans le top 5 – est venu confirmer que c’est le bon choix. Nous sommes partis dans l’aventure de cette nouvelle construction avec un patrimoine considérable, et nous allons travailler dans la continuité. »
Comment vous considérez-vous, aujourd’hui, par rapport à 2019 ?
C. D. : « Je me sens différent d’avant, mais toujours aussi heureux. Mon niveau et ma maîtrise n’ont rien à voir avec 2019. J’ai le sentiment d’avoir progressé dans tous les domaines. »