Entretien avec Guillaume Verdier : « Jamais je ne serai le patron de quelqu’un »
Depuis l’an 2000, le nom de Guillaume Verdier s’est imposé dans le milieu de la voile de compétition. Ultim, Coupe de l’America, Imoca, Class40, Mini… Des dizaines de bateaux vainqueurs portent sa signature. Un succès dont il ne veut pas récolter les mérites. Voiles et Voiliers a rencontré l’architecte dans sa maison à Larmor-Baden, où il profite du calme de ce coin de nature pour développer les bateaux les plus rapides du monde.
Voiles et Voiliers : Coupe de l’America, Ultim, Imoca, Class40, record du monde de voile à terre… Votre signature est partout. Vous êtes quelqu’un de très demandé ?
Guillaume Verdier : En fait, c’est toujours un peu la même chose de travailler pour un char à voile ou un bateau de pêche. On a une méthode pour discuter avec les gens afin de savoir ce qu’ils veulent, et ensuite, on l’adapte avec la physique. Peut-être que notre méthode de travail est particulière. Je ne travaille plus beaucoup sur la Coupe de l’America. Je fais toujours partie de l’équipe de Team New Zealand, mais je ne voulais pas refaire une autre édition. J’ai saturé après 4 ou 5 campagnes. J’avais trop de travail avec 12 bateaux de 60 pieds, des bateaux de 100 pieds, des Class40… C’était beaucoup à gérer en plus de la Coupe de l’America, qui prend presque un temps plein. Il fallait que je fasse une pause.
Voiles et Voiliers : L’équipe avec laquelle vous travaillez, vous l’avez construite depuis longtemps ?
Guillaume Verdier : Oui, ce sont toujours les mêmes personnes, mais elle a un peu grandi. Au début, j’étais seul et j’ai commencé à travailler sur l’hydraplaneur d’Yves Parlier. C’est là que l’équipe s’est formée. Nous avons également collaboré ensemble sur le défi français Areva pour la Coupe, puis nous avons continué avec Team New Zealand, qui m’a demandé d’amener mon équipe. Aujourd’hui, pour chaque projet, nous sommes entre 5 et 12 personnes. Il y a Romaric Neyhousser qui dessine les bateaux, Loïc Goepfert, Véronique Soulé et Romain Garo qui travaillent sur la performance comme Robert Kleinschmit sur l’analyse, Benjamin Muyl et son équipe avec qui nous avons aussi travaillé sur le prao du record de vitesse de voile à terre de ETNZ. Nous avons une équipe qui se concentre sur le calcul de fluide, une autre qui s’occupe du calcul de structure et qui se trouve en Nouvelle-Zélande. Hervé Penfornis, Erwan Tymen et Jérémie Palmer s’occupent de la méthode et du suivi de projet, et il y a aussi Morgane Schlumberger qui gère la stabilité des bateaux et les plans. En fait, nous sommes assez nombreux, et tout le monde s’entend bien. Personne ne travaille dans mon bureau. Ils ont une certaine liberté de vivre comme ils le souhaitent et de travailler aussi à leur compte et en leur nom. Parfois, nous mettons un peu de temps à démarrer des projets, mais une fois que cela démarre, chacun sait où il va.
Je ne voulais plus avoir un patron, et je me suis dit que jamais je ne serai le patron de quelqu’un d’autre.
Voiles et Voiliers : Depuis le début, vous avez décidé de ne pas construire un cabinet d’architectes « classiques » avec des salariés dans un bureau…
Guillaume Verdier : Après mes études, j’ai travaillé avec le Groupe Finot pendant 5 ans. J’avais dessiné plein de 60 pieds open avec Pascal Conq, avec qui j’avais adoré travailler. J’étais à mon compte, mais j’étais un peu comme un employé de bureau. À un moment, je n’en pouvais plus. Je ne voulais plus avoir un patron, et je me suis dit que jamais je ne serais le patron de quelqu’un d’autre. Ce n’est pas que ça s’est mal passé, mais je trouve qu’il n’y a pas besoin d’être autoritaire ou d’avoir un fonctionnement pyramidal. Les petites structures horizontales sont vraiment super.
Voiles et Voiliers : Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir architecte naval ?
Guillaume Verdier : C’est tout bête, mais quand j’étais jeune, je naviguais dans un camp de voile à Brest. J’avais 8 ans, et mon moniteur de voile m’a dit qu’il allait faire une école de design de bateau en Angleterre. J’avais gardé ça en tête, et lorsque j’ai commencé Math Sup en France – ça ne me plaisait pas vraiment – je me suis rappelé qu’il existait une école pour dessiner des voiliers. C’était Southampton.
Voiles et Voiliers : Vous avez donc commencé votre carrière avec Finot-Conq, puis vous avez travaillé des années plus tard avec VPLP…
Guillaume Verdier : On était associés avec VPLP. On partageait les projets en s’organisant entre nous, mais je travaillais depuis mon propre bureau. Après, on a décidé d’aller chacun de notre côté, mais ça a été une belle histoire. On a fait plein de 60 pieds, peut-être 6 ou 7, Comanche, qui était un super projet.
Il faut perdre pour apprendre aussi.
Voiles et Voiliers : Vous êtes finalement souvent en concurrence avec les autres cabinets de design…
Guillaume Verdier : Oui. Forcément, dessiner pour des bateaux de compétition, c’est forcément être en concurrence, et ce serait dommage qu’elle n’ait pas lieu. Quand je travaillais chez Finot, on dessinait les bateaux pour le BOC Challenge, puis le Vendée Globe, mais on n’avait presque pas de concurrence. Ce n’était pas terrible. Il faut perdre pour apprendre aussi. On ne peut pas tout le temps gagner. La roue va tourner, ce ne sera pas nous qui gagnerons tout le temps.
Voiles et Voiliers : Y a-t-il des projets que vous regrettez de ne pas avoir pu faire ?
Guillaume Verdier : Oui, car on ne peut pas tout faire. Par exemple, je m’entends bien avec Banque Populaire, et j’aurais voulu dessiner le trimaran Banque Populaire, mais j’étais engagé avec Gitana, et je leur avais promis que je n’en ferais pas d’autre. On est toujours copain avec Ronan Lucas, et si leur bateau va plus vite, ce sera très bien.
Voiles et Voiliers : Pourquoi vous être spécialisé dans les bateaux de course ?
Guillaume Verdier : Il y a quand même une diversité de sujets qui m’intéresse dans la course. L’hydrodynamique, la physique, la structure, la résistance des matériaux, les matériaux, la météorologie, l’océanographie… Un truc que j’aime bien aussi, c’est le management du risque. Quand tu conçois un bateau, c’est de savoir où tu vas placer le curseur. On se doit aussi de faire de la recherche, tout le temps, lire des articles, rester informé. C’est hyper enrichissant. Cela étant, je pourrais faire ça dans un autre domaine. J’aimerais bien travailler sur des avions, des bateaux de transport, des bateaux qui servent au quotidien, qui ne consomment pas de fioul.
Un voilier est capable de faire le tour du monde en 42 jours. Il n’y a pas de bateau à essence capable de faire ça.
Voiles et Voiliers : Justement, la voile peut-elle vraiment jouer un rôle dans la décarbonisation du transport maritime, selon vous ?
Guillaume Verdier : Je crois que c’est le seul intérêt de ce que nous faisons en concevant des bateaux de course. Un voilier, on peut dire que ce n’est pas propre à construire, mais c’est inspirant pour les gens qui peuvent ainsi voir qu’un voilier est capable de faire le tour du monde en 42 jours. Il n’y a pas de bateau à essence capable de faire ça en 42 jours. Il faudrait qu’il transporte son fioul et ne pourrait donc pas aller assez vite. Si les gens ne réalisent pas cela, je ne sais pas ce qu’il leur faut. Que ce soit l’un ou l’autre de nos bateaux qui gagne, cela n’a pas d’importance, mais si cela permet de faire prendre conscience qu’on peut se déplacer avec du vent, des panneaux solaires, sans pétrole, c’est une bonne chose.
Voiles et Voiliers : Est-ce important pour vous de réfléchir à l’impact environnemental ?
Guillaume Verdier : Oui, c’est important. Je pense que le Vendée Globe devrait avoir une approche plus directive sur le sujet. Ce ne serait pas très compliqué de demander aux skippers de partir sans pétrole, juste avec 30 litres d’essence scellés. Je trouverais ça plus démonstratif. C’est dommage que les vieux bateaux ne puissent plus courir. Je comprends l’interdiction des bateaux « poubelles », mais ils devraient plutôt mettre un niveau de certification et imposer que le nid d’abeille soit remplacé dans certaines zones, qu’ils soient mis à jour car ils ne sont pas foutus ces bateaux. Ce serait super de pouvoir garder les bateaux de course, qu’on y soit forcé pour les réhabiliter et qu’il y ait, par exemple, des règles de temps compensé.
Voiles et Voiliers : D’autant plus que pour un architecte, réhabiliter un bateau peut être un travail passionnant ?
Guillaume Verdier : Oui, on a fait celui de Pip Hare (Medallia) et Giancarlo Pedote (Prysmian). Ce sont des bateaux qu’on avait dessinés avec VPLP. Ce sont des grosses réhabilitations, presque aussi prenantes que la conception d’un nouveau bateau. Souvent, ce qu’on nous demande de faire, c’est la zone de quille : un merdier !